jeudi 5 janvier 2006

Un scandale de corruption explosif

STÉPHANIE FONTENOY - Mis en ligne le 05/01/2006

Un influent lobbyiste plaide coupable de corruption active «de responsables publics».


CORRESPONDANTE AUX ÉTATS-UNIS

C'est sans doute le scandale de la décennie à Washington. Un tsunami politique sur le Congrès américain. Un champ de mines pour ses membres républicains et, dans une moindre mesure, démocrates. Le nom du lobbyiste Jack Abramoff devrait rester dans les mémoires comme celui de la corruption rampante à l'oeuvre dans les couloirs du Capitole. Jack Abramoff, brillant lobbyiste et militant républicain, a plaidé coupable, mardi, d'escroqueries et de fraude fiscale, ainsi que de corruption active de «responsables publics». Et le déballage ne fait que commencer: Jack Abramoff a accepté de collaborer pleinement avec l'enquête, notamment en témoignant à charge contre les politiciens qu'il a corrompus, en échange d'une remise de peine. Il risque 10 ans de prison et de devoir rembourser 25 millions de dollars.

A 47 ans, payé 750 dollars de l'heure pour démarcher les législateurs, Jack Abramoff était le lobbyiste parfait: malin, riche, introduit, influent. Doublé d'un escroc. Selon l'acte d'accusation, le lobbyiste avait bâti une spectaculaire réussite professionnelle, entre 1994 et 2004, en touchant, notamment à partir de 1997, des dizaines de millions de dollars versés par diverses tribus indiennes, dont il représentait les intérêts dans le domaine du jeu.

L'ancien lobbyiste vedette utilisait ses millions pour son enrichissement personnel mais aussi pour offrir invitations et cadeaux à des «responsables publics», en particulier un élu de la Chambre des représentants, que l'accusation ne nomme pas, et plusieurs assistants parlementaires. Les cadeaux comprenaient notamment des séjours en Ecosse pour jouer au golf, des entrées à des événements sportifs, des invitations dans de prestigieux restaurants, dans le but «d'influencer et d'obtenir en échange un accord pour accomplir certains actes officiels», selon l'accusation. Un centre de recherches indépendant indique que plus de 300 élus, républicains et démocrates, ont bénéficié des contributions de M. Abramoff depuis 1999.

Stratégie républicaine

Si le «Tout-Washington» tremble, les élus républicains, dont Jack Abramoff est un allié de toujours, ont, à juste titre, de bonnes raisons de s'inquiéter. Ce dernier n'est d'ailleurs pas étranger aux ennuis de l'ancien chef de la majorité républicaine à la Chambre des représentants, Tom DeLay, qui a dû renoncer à diriger la majorité après son inculpation fin septembre dans une affaire de financement électoral. La Maison-Blanche s'est empressée d'indiquer que George Bush ne connaissait pas Jack Abramoff et que les fonds qui auraient éventuellement été récoltés pour sa réélection seraient reversés.

Les aveux d'Abramoff mettent également en relief une stratégie républicaine pour dominer Washington. Il s'agissait de faire de «K Street», la rue des lobbies, un des bras armés de la machine du parti. Comment ? Infiltrer ces groupes de pression, les encourager à soutenir la politique conservatrice et à lever de l'argent pour les campagnes des élus républicains, en échange de faveurs pour leurs clients.

L'opposition démocrate, qui n'est pas à l'abri de mauvaises surprises dans son camp, a saisi l'occasion pour dénoncer «un exemple de l'abus de pouvoir et de la culture de corruption que les Républicains ont apportés à Washington». Le moment est bien choisi: les Républicains, majoritaires dans les deux Chambres, craignent maintenant un sérieux coup de balai lors des élections législatives de novembre 2006. L'opinion publique américaine est plus que jamais désabusée.

© La Libre Belgique 2006

SOURCE: La Libre Belgique, 5 janvier 2006.

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